Crozon, le 12 décembre 2025
Avant que 2026 ne s’ouvre : ce que je retiens de 2025

2025 : année d’effondrements annoncés et de résistances têtues. L’information se noie dans le vide, l’écriture recule, les inégalités se creusent. Année de questionnements profonds aussi, sur ce que signifie accompagner, transmettre, dialoguer dans un monde qui fragmente. Et pourtant, année de jolie découvertes en ce qui me concerne : une écriture secrète de femmes qui renaît, un film qui démontre mathématiquement la force du pluralisme, des initiatives qui refusent la fatalité. Cette année encore, tout comme je l’avais fait fin 2024, j’ai pris le temps de me poser, de regarder, d’apprendre. Voici donc ce qui m’a marquée durant l’année passée, qui est venu nourrir la citoyenne du monde que je suis et aussi éclairer chacune de mes interventions auprès de mes clients.
J’ai été touchée par des formes d’expression qui créent du lien là où tout pousse à l’isolement, qui donnent de la dignité là où on pourrait n’avoir que du désespoir.
• Une découverte m’a pas mal plus marquée cette année, c’est celle du nüshu, l’écriture secrète des femmes chinoises. Pendant quatre siècles, dans le Hunan, des femmes exclues de l’éducation formelle ont créé leur propre système d’écriture syllabique. Une langue pour dire ce qu’elles ne pouvaient pas dire autrement. Pour créer du lien là où le pouvoir imposait le silence.
• J’aurais tellement aimé découvrir Sebastião Salgado autrement que par l’annonce de sa mort cette année. Ce photographe brésilien a passé sa vie à documenter l’humanité en noir et blanc, j’ai été touchée par la dignité qu’il donne à ses sujets.
• Autre découverte artistique de l’année : Francesca Woodman, photographe américaine morte à 22 ans en 1981. Ses autoportraits fantomatiques, ses corps en mouvement, son questionnement obsessionnel sur l’identité. Son exploration sensible des limites du langage résonne avec ma pratique du dialogue. Nous ne dialoguons pas qu’avec des mots.
J’ai passé l’année à me demander comment continuer à penser profond dans un monde qui ne valorise que le flux, comment écrire vrai quand les formats fragmentent tout.
• « Toute la folie du monde est dans notre cerveau« , chante Yves Simon. Un texte tout simple mais dont la profondeur m’a touchée parce que je la constate dans chacune des actions que j’ai menées qui visaient à rétablir la qualité de la relation. Nous sommes tous traversés par les mêmes contradictions que le monde qui nous entoure.
• Avec Usbek et Rica, je me suis demandée si l’écriture est en train de disparaître. Mon métier consiste à aider les personnes à gagner en impact, et cela me fait toucher du doigt l’importance qu’il y a en toutes choses de trouver les bons mots, quand il s’agit d’exprimer à l’autre ce qu’est notre réalité. Je suis donc aux premières loges de cette transformation qu’évoque ce dossier sur la disparition possible de l’écrit. Je suis pour ma part convaincue que l’écriture ne disparaît pas, qu’elle se transforme, et que quelque chose se perd dans cette mutation. Quelque chose qui a trait à la profondeur, à la réflexion, au temps long. Là où une écriture renaît (le nüshu), d’autres reculent. Et cette question, vraiment, m’importe : quelle forme prendra le dialogue de demain si nous perdons nos outils pour penser dans la durée ? Qu’est-ce qu’écrire vrai dans ce contexte ? Comment maintenir l’authenticité quand les formats se multiplient et se fragmentent ?
• J’ai beaucoup réfléchi grâce à l’article Comment voyage l’information de l’intelligence à la conscience. Dans un monde saturé d’information, comment celle-ci devient-elle connaissance, puis conscience ? Cette question est au cœur de mon travail de facilitation : créer les conditions pour que l’information circule, mais surtout pour qu’elle s’enracine et se transforme en compréhension partagée.
• Une lecture, notamment, m’a obligée à challenger mes propres références : Les pièges de la métaphore du « dirigeant chef d’orchestre ». Cette métaphore que j’ai moi-même utilisée montre ses limites : verticalité, expertise supposée totale, absence de co-création.
• En lien avec cette réflexion, j’ai relu un article de 2010 d’Hubert Guillaud sur les transformations de l’écosystème de l’information dans le monde du travail. Quinze ans plus tard, le constat est toujours d’actualité : nous sommes submergés de flux, mais où est la profondeur ?
Entre le lithium qu’on extrait pour sauver le climat et les injustices qui se creusent partout, j’ai décidé que ma part, c’est d’accompagner localement. Non pas malgré l’immensité des déséquilibres, mais justement à cause d’eux.
• Le dossier qui m’a le plus marquée cette année : L’âge du lithium, publié par la revue Les Temps Qui restent. Le Dieu lithium, métal indispensable à la transition énergétique, nous met dans un sacré paradoxe : pour sauver le climat, nous détruisons des écosystèmes et exploitons des populations selon les mêmes logiques extractivistes que celles qui nous ont menés à la crise. Quelle transition écologique si elle reproduit les schémas du passé ? Ici, dans le Finistère, où nous disposons, aussi, de mines de Lithium, nous sommes au cœur de ces questions : Comment transformer sans détruire ? Comment innover sans reproduire ?
• Je me suis fortement inquiétée de la montée du climatoscepticisme en France. Cet article de The Conversation, notamment, nuançait les différentes formes de scepticisme, mais le constat reste alarmant : au moment même où l’urgence s’accélère, les convictions reculent.
• L’état de l’éducation en France m’a profondément préoccupée. Le rapport Regards sur l’éducation 2025 de l’OCDE documente des inégalités persistantes et un recul des performances. Je me suis demandé comment mes petits efforts pour aider au développement de mon territoire pouvaient avoir un sens face à de tels déséquilibres systémiques. Et pourtant. C’est justement parce que les déséquilibres sont immenses que chaque action locale compte. Accompagner les entrepreneurs du Finistère, faciliter leurs dialogues, renforcer leurs habiletés relationnelles : c’est ma manière de faire ma part.
• Dans la même veine : les PME paient plus d’impôts sur les sociétés que les grandes entreprises. Une injustice fiscale flagrante qui fragilise encore davantage ceux qui font vivre nos territoires. Accompagner les entrepreneurs, c’est aussi porter ces réalités et ces indignations.
• J’ai appris par cœur certains des 10 enseignements clés de notre époque, résumés en 10 graphiques. Pas pour briller en société. Mais pour garder les pieds sur terre dans mes accompagnements. Pour ne jamais perdre de vue les dynamiques globales qui traversent chaque organisation, chaque territoire, chaque dialogue.
L’internet se fragmente, la confiance s’effondre, le « slop » envahit tout, mais des initiatives résistent et je fais ma part en les soutenant.
• Tout au long de l’année, j’ai pleuré avec Hubert Guillaud sur le vide de l’internet. Son concept de « slop » – ces contenus générés automatiquement, sans valeur, qui polluent l’écosystème informationnel – résume parfaitement ce que nous vivons. A trop déléguer, on perd souvent le sens.
• La question se pose avec acuité : où va Internet ? L’étude relayée par The Verge documente la fragmentation en cours : d’un côté, les grands groupes qui nous influencent à coups de milliards de technologie ; de l’autre, des petites communautés qui se replient sur elles-mêmes. Entre les deux, la polarisation s’accélère, la confiance s’effondre. Quel espace reste-t-il pour le dialogue quand la plateforme commune se désagrège ?
• Face à la concentration des médias et à la désinformation, j’ai humblement tenté d’agir en soutenant et relayant des initiatives qui résistent : C’est vrai ça ? pour le debunking accessible, Cogito, pour la certification d’esprit critique, Coop-médias, la coopérative citoyenne des médias indépendants , le parcours Lumni sur la concentration des médias pour l’éducation, et ODIL pour la lutte contre la désinformation. Il est essentiel que nous disposions d’espaces où l’esprit critique peut s’exercer, où la diversité des sources peut s’exprimer, où le dialogue peut résister au bruit. La récente décision de l’Australie ouvre la voie de la coercition, je me demande si malheureusement il peut encore y en avoir tant le problème est grave et systémique.
• Parfois, il suffit d’une visualisation pour prendre conscience de l’ampleur de notre empreinte. 24 659 objets tournent en ce moment au-dessus de nos têtes, en temps réel. Internet n’est pas immatériel. Notre pollution non plus.
Des gestes de résistance créative m’ont rappelé toute l’année que le dialogue ne se construit pas dans la tiédeur, mais dans le courage d’oser la parole vraie et l’inconfort nécessaire.
• Le film que j’ai regardé en boucle cette année : Les glands ne savent pas sauter. En quelques minutes, avec une simplicité mathématique désarmante, il démontre les mérites du pluralisme et de la diversité culturelle. Ce film défend exactement ce que je m’efforce de construire dans chaque facilitation : des espaces où la diversité des voix n’est pas un obstacle mais une force. Où les désaccords ne sont pas des impasses mais des tremplins. Où la différence est une ressource, pas une menace.
• J’ai adoré le coup de gueule de Mehdi Coly sur LinkedIn : « C’est décidé, je quitte ce pays ». Pas parce que je partage nécessairement toutes ses conclusions, mais parce qu’il ose dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Le dialogue ne se construit pas dans la tiédeur consensuelle. Il se construit dans le courage de la parole vraie. Dans le refus de l’entre-soi confortable. Dans l’expression des colères et des désaccords.
• L’initiative qui me parle particulièrement dans mon travail de transmission : Les Cyber-Héros pour les parents, par Bibliothèques sans Frontières Belgique. Face à la désinformation et aux dangers du numérique, outiller les parents. Créer des ressources accessibles. Faire de l’éducation critique un droit, pas un privilège.
• Le regard décalé de The Uncomfortable m’aide à me poser la bonne question dans mes accompagnements : ce que nous construisons ensemble est-il vraiment utile ? Ou reproduisons-nous des schémas confortables mais inefficaces ? Ce site de design critique présente des objets volontairement inconfortables pour interroger notre rapport à l’utilité, au confort, à l’évidence. Une démarche que j’essaie d’appliquer à mes facilitations : parfois, il faut créer de l’inconfort pour générer de la transformation.
• Le choc visuel des photos d’Ugur Gallenkus. Photographie engagée qui ne détourne pas le regard. Qui nous oblige à voir ce que nous préférerions ignorer. Parfois, l’image dit ce que mille mots ne parviennent pas à exprimer.
• Anecdote surprenante découverte cette année : des gens qui investissent de leur vivant sur leurs tombes. Au-delà de l’anecdote, c’est notre rapport au temps, à l’héritage, à la transmission qui m’interroge. Qu’est-ce que nous laissons derrière nous ? Qu’est-ce qui mérite d’être préservé ? Des questions qui résonnent dans mon travail d’architecte du dialogue : construire des espaces de conversation qui durent au-delà du moment présent.
Et sinon, tout au long de l’année, avidement, toujours avec bonheur, j’ai lu les écrits de Perrin Remonté, François Pelletier MSc, Eric Nedelec, Noémie Aubron, j’ai souvent pleuré en écoutant les chroniques de Mosiman, j’ai comme toujours dévoré un grand nombre de bouquins, parmi lesquels je retiendrai particulièrement l’Herbier de Prison de Rosa Luxembourg, Le jour où j’ai tué mon frère de Serge Tisseron, l’adaptation des Travailleurs de la Mer par Michel Durand, j’ai plusieurs fois de suite écouté en boucle Unfurl d’Asaf Avidan, Seong-Jin Cho quand il interprète Ravel, Sad and Beautiful World de Mavis Staples. Entre autres, et j’ai adoré le projet culturel et social de Anne-Laure Maison et Michel Cam à la Piscine, à Brest, ainsi que le lancement de La WAM CREATIVE BANK Association. Quel bonheur de connaître ces joyeux poètes !
Allez, zou, on fini de tout ranger du passé et on se prépare pour le solstice d’hiver. 2025 aura été ce qu’elle aura été. 2026 sera ce que nous en ferons. Je l’envisage avec, toujours, cette même conviction : face aux effondrements, le dialogue reste notre boussole. À bientôt sur les chemins du Finistère et d’ailleurs.
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