Ciseler le dialogue pour façonner demain

Crozon, le 24 juillet 2025

LES CONFLITS : Tensions narratives et tensions organisationnelles

Épisode 3/8 de la Mini-Série « De l’art du Récit à l’Art de Gouverner ».

L’été, c’est le moment parfait pour mêler plaisir et réflexion ! Dans cette mini-série de 8 épisodes je marie littérature et gouvernance d’entreprise.

À lire tranquillement, les pieds dans l’eau, un punch à la main.

Objectif : faire pétiller vos idées avant la rentrée !

Que serait une histoire sans conflit ? Rien d’autre qu’une suite d’événements sans relief. Toute bonne histoire commence par une tension. Sans conflit, pas de héros, pas d’aventure, pas de transformation. C’est vrai dans les récits, c’est vrai aussi dans nos entreprises.

Avec l’épisode 2 de notre mini-série, nous avons vu comment la littérature forge notre vision du leader idéal, de ses valeurs, de ses qualités morales. Aujourd’hui, je vous propose d’utiliser le même prisme pour explorer ce que les récits nous disent du conflit. Comment les héros y font face ? Quels modèles de résolution nous ont-ils transmis ?

« Leadership Without Easy Answers » est un livre de Ronald Heifetz publié en 1994, qui est aujourd’hui encore considéré comme l’un des ouvrages les plus influents sur le leadership adaptatif. Professeur à Harvard, Heifetz y développe une théorie novatrice qui distingue les défis techniques des défis adaptatifs dans le leadership.

Il y dit notamment que « le conflit n’est pas un obstacle à l’histoire, il est l’histoire. C’est dans la gestion des tensions que se révèle la vraie nature du leadership. » Avec cette approche, le conflit n’est pas un accident de parcours mais le moteur même de toute transformation. Œdipe ne serait pas Œdipe sans son conflit avec le destin. Le Cid ne serait pas Le Cid sans le dilemme entre amour et honneur. Et que serait Tyrion Lannister sans les tensions qui traversent son histoire ?

J’ai identifié vingt héros dont les conflits éclairent particulièrement notre rapport aux tensions. Les voici, classés selon la nature des épreuves qu’ils traversent :

CONFLITS MORAUX ET EXISTENTIELS

  • Œdipe (Œdipe Roi, Sophocle) – Conflit avec le destin
  • Électre (Électre, Sophocle) – Justice vs Vengeance
  • Hamlet (Shakespeare, 1603) – Devoir vs Conscience
  • Josef K. (Le Procès, Kafka, 1925) – L’individu face au système

CONFLITS DE POUVOIR ET D’AUTORITÉ

  • Médée (Médée, Euripide) – Pouvoir et vengeance
  • Shylock (Le Marchand de Venise, Shakespeare, 1596) – Justice commerciale
  • Michael Corleone (Le Parrain, Puzo, 1969) – Pouvoir et famille
  • Tyrion Lannister (Game of Thrones, Martin, 1996) – Pouvoir et légitimité

CONFLITS SOCIAUX ET DE CLASSE

  • Rastignac (Le Père Goriot, Balzac, 1835) – Ascension sociale
  • Julien Sorel (Le Rouge et le Noir, Stendhal, 1830) – Ambition vs Société
  • Heathcliff (Les Hauts de Hurlevent, Brontë, 1847 – Passion vs Classe
  • Nana (Nana, Zola, 1880) – Pouvoir et séduction

CONFLITS IDÉOLOGIQUES ET SYSTÉMIQUES

  • Captain Nemo (Vingt Mille Lieues sous les mers, Verne, 1869) – Rébellion
  • Winston Smith (1984, Orwell, 1949) – Résistance au système
  • Guy Montag (Fahrenheit 451, Bradbury, 1953) – Liberté vs Censure
  • Paul Atréides (Dune, Herbert, 1965) – Politique et écologie

CONFLITS DE VALEURS ET D’ÉTHIQUE

  • Le Cid (Corneille, 1637) – Honneur vs Amour
  • Robert Jordan (Pour qui sonne le glas, Hemingway, 1940) – Idéal vs Réalité
  • McMurphy (Vol au-dessus d’un nid de coucou, Kesey, 1962) – Liberté vs Institution
  • Jean-Marc Vauvenargues (99 francs, Beigbeder, 2000) – Éthique vs Profit

La théorie de Heifetz est dans la lignée de ce que nous dit cette galerie de héros confrontés au conflit : le conflit n’est pas un accident de parcours, il est le cœur même de chaque histoire. Mais au-delà de cette validation, ces récits nous révèlent quelque chose de plus profond encore : le conflit n’est pas seulement moteur de l’histoire, il est aussi révélateur de l’être. Il ne crée pas le héros, il le révèle à lui-même.

Prenez Œdipe : son conflit avec le destin ne le détruit pas, il le pousse à la connaissance de soi. Observez Le Cid : le dilemme entre amour et honneur ne l’affaiblit pas, il forge sa grandeur. Même Josef K., broyé par une bureaucratie kafkaïenne, nous montre par son combat l’absurdité du système.

À travers les siècles, ces héros partagent des constantes dans leur rapport au conflit. La première est le refus de l’évitement. Qu’il s’agisse de Médée face à sa vengeance ou de Guy Montag face à la censure, tous affrontent leur conflit de front. La deuxième est la transformation personnelle : le conflit les change, comme il change Michael Corleone ou Rastignac. La troisième est la quête de sens : même dans les situations les plus désespérées, ils cherchent à comprendre, à donner du sens, à transcender l’affrontement.

Mais avec le temps, la nature des conflits évolue. Des tragédies grecques aux romans modernes, nous passons des conflits avec le destin aux conflits avec le système. D’Œdipe à Winston Smith, de Hamlet à Jean-Marc Vauvenargues, les héros affrontent des forces de plus en plus complexes, de plus en plus diffuses. L’objet de conflit n’est plus une personne, un dieu ou un destin. Il devient une organisation, un système, une culture.

Ce glissement des tragédies individuelles aux tensions systémiques n’est pas qu’une affaire de littérature : il raconte aussi l’évolution de nos organisations, où les conflits qu’il m’est donné d’observer sont rarement des oppositions frontales entre personnes. Ce sont plus souvent des tensions entre systèmes de valeurs, entre cultures, entre visions du monde.

La littérature a façonné, peut-être plus que nous ne le pensons, notre rapport au conflit. Elle nous a appris à le voir comme une épreuve nécessaire, un passage obligé vers la transformation. Mais elle nous a aussi légué des modèles de résolution parfois problématiques : le héros solitaire qui affronte seul l’adversité, la victoire totale comme seule issue acceptable, la dimension souvent tragique du dénouement.

Je le constate quand mes clients sollicitent mes services de médiation : nous portons en nous ces schémas pré-établis, disponibles « sur étagère ». Quand un conflit éclate, nous cherchons des héros et des méchants, nous attendons le grand affrontement, nous rêvons de victoire éclatante. Nous oublions que la réalité est plus nuancée, que les solutions les plus durables naissent souvent du dialogue plutôt que de la confrontation.

Le courage de confronter les tensions ne signifie pas choisir l’affrontement. Le véritable leadership consiste souvent à transformer le champ de bataille en terrain de dialogue

La littérature nous a donné des héros. À nous d’en tirer les leçons avec discernement, de garder leur courage face au conflit sans reproduire leur solitude, leur quête de sens sans leur radicalité, leur persévérance sans leur intransigeance.

D’ailleurs, en parlant de dialogue… Savez-vous ce que ces mêmes héros nous apprennent sur l’art de la conversation ? Je vous donne rendez-vous dans le prochain épisode, où nous explorerons comment la littérature éclaire cet autre aspect crucial du leadership. #Dialoguons #Finistère #Leadership #Médiation #Innovation


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Je suis facilitatrice et médiatrice, mais aussi enseignante et écrivain public. J’aide les personnes et les entrepreneurs à renforcer leur habilité relationnelle et à gagner en impact.

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